Résumé
La conquête de l’espace est achevée. L’homme est devenu immortel et de ce fait la terre trop petite. Aussi, à l’âge de la retraite, doit-il s’exiler sur des planètes de plus en plus lointaines au fur et à mesure de son vieillissement. Des planètes sans végétation, sans enfants, peuplés seulement de vieillards. Petit à petit, ses souvenirs s’effacent et il ne sait plus très bien s’il a vécu ou rêvé sa vie antérieure. La terre devient un éden perdu. Une secte prêche le retour vers l’ancien paradis mais la terre ne peut accueillir ses milliards d’ancêtres. Une conflagration éclate qui détruit la galaxie et l’humanité. Seul un couple réussit à gagner une planète épargnée qui ressemble à la terre et décide d’être les nouveaux créateurs d’un monde idyllique.
Le ciel est plein de mes aïeux Extrait N°1
- Nous sommes seuls, dit Jérôme, seuls dans l’univers ? – Ne suis-je pas avec toi ? Cela ne te suffit-il pas toi qui rêvait de m’avoir toujours à toi. Nous sommes le nouveau couple originel. Le monde commence, … – Tu divagues, qui peuplera cette planète ? – Nous aurons des enfants, chacun d’eux en aura. Il suffit de quatre enfants dans chaque couple pour que dans mille ans ils approchent le milliard. – Mais, s’écria Jérôme, nos enfants seront frères et soeurs ! – Veux-tu ressusciter les tabous des humains ? Ils ne connaîtront ni la honte ni le péché. Le climat de Gaîa est un éternel printemps, les fruits poussent naturellement sur les arbres, les brebis donnent leur lait, les oiseaux leurs œufs La création sera parfaitement réussie. Je reconnais que j’avais un précédent terrestre qui m’a permis d’éviter ses grossières erreurs dont les hommes ont souffert. – Mais que ferons nous ? – Nous regarderons vivre notre création. Nous la guiderons. Nous serons Dieu, Jérôme, les Dieux éternels de cette humanité mortelle. Nous serons deux, un Dieu homme et femme qui manquait à l’humanité ancienne, un Dieu bon puisque cette planète ne contient ni animal sauvage, ni microbe, puisque les êtres mourront sans avoir connu la douleur au soir d’une verte vieillesse. La création, Jérôme, on croit que c’est très compliqué, mais j’ai l’impression que sur la Terre nous avons eu affaire à un débutant. – Mais je n’ai pas envie d’être Dieu, Francesca. – Console-toi, tu ne seras qu’un Dieu consort. – Mais je suis mortel, s’écria Jérôme. – Nous y remédierons.
Le ciel est plein de mes aïeux Extrait N°2
Ranavla enleva son nouveau mari dans ses bras comme un fétu de paille et s’avança vers son appartement. Jérôme encore sous le coup de l’ivresse vit que pour regagner sa chambre elle passait au milieu d’une double rangée d’hommes portant des torches. Chacune des rangées était composée de trente et un de ses maris. La plupart d’entre eux étaient torse nu et vêtus des seuls collants colorés. La lumière des torches et l’ivresse faisaient onduler leurs traits comme s’ils se préparaient à quelques métamorphoses. Ils apparaissaient à Jérôme d’autant plus surprenants que Ranavla le portait comme un enfant et que, la tête renversée et c’est à l’envers qu’il voyait ces créatures étranges. Les deux derniers personnages qui se faisaient face étaient le nain et le géant. La procession se termina entre leurs têtes grimaçantes. La chambre de la reine était plongée dans la pénombre, occupée par un lit immense couvert de fourrures et contenait une volière où s’agitaient des oiseaux multicolores dans un grand froissement d’ailes. Jérôme aperçut également quelques jeunes femmes qui ne portaient pas l’uniforme des tatas ganates mais une tunique courte et légère, agrafée à une épaule, laissant un sein à l’air. Ranavla jeta Jérôme sur le lit qui reçut mollement le corps du jeune homme. Le lit lui parut vaste comme la mer. La reine se débarrassa vivement de ses vêtements et apparut vêtue d’une chemise violette qui tranchait avec sa peau noire. La masse noire et violette s’allongea près de lui, déplia son immensité et le prit dans ses bras. Des mains expertes commencèrent à défaire ses vêtements. – Viens plus prés de moi, dit Ranavla qui avait achevé de le déshabiller. Elle ajouta avec un rire heureux : – Viens, mon petit mortel. Il y a longtemps que je n’ai pas serré dans mes bras un corps vivant de cette vie qui s’agite et frémit sur la Terre. Elle le mordit à l’oreille et lécha la goutte de sang qui coulait. – Je t’ai vite reconnu. C’est là le sang qui coule des blessures pendant les batailles ou après les crimes, c’est aussi celui des règles des femmes fécondes. Si tu ne voulais pas m’aimer, je pourrai le faire couler jusqu’à la dernière goutte, mais il est trop précieux pour le sol de cette planète. Tu as l’odeur de la mer, des moissons, des orages; un instant tu me rends ma jeunesse, tu me fais découvrir que je peux encore aimer. Ne t’éloigne pas, ne te rétracte pas, viens vers moi, je suis une femme et de plus ta reine. Je pourrai ordonner et je supplie presque. N’en es-tu pas ému ? Des trompettes taillées dans des carapaces de lémure annoncèrent l’arrivée du couple princier. Pedro était massif, vêtu d’une tunique sombre faite de plaques de chitine polie et chaussé de bottes qui montaient au dessus des genoux. L’ancien explorateur de la Galaxie, qui avait piloté les vaisseaux les plus sophistiqués de son époque, ressemblait maintenant à un guerrier mérovingien. Elvire était vêtue de blanc et elle apparaissait à côté de la masse puissante et sombre de son mari comme une apparition attirant à elle les rayons de lumière et flexible à chaque souffle du vent. Elle avait pour seul ornement un léger diadème où scintillaient une émeraude, un saphir et un rubis, symboles des trois lumières qui éclairaient les nuits de Protée. Elle donna le signal en jetant sur la foule une rose qui provenait des rosiers du palais, les seuls de la planète. Jérôme devinait plus qu’il ne voyait mais il lui sembla que les jumelles tremblaient dans les mains d’Elvire. Les regards de la foule qui attendait vainement le signal convergèrent vers elle. Le directeur des fêtes se pencha et lui parla à l’oreille . La princesse tressaillit comme si elle sortait d’un songe et jeta la quatrième rose. Les lémures partirent à un train d’enfer. Ils devaient accomplir dix tours de piste. Pendant le premier tour, Pedro et Jérôme restèrent dans le peloton, occupés à s’épier, chacun essayant d’évaluer les possibilités de l’autre. Au deuxième tour, Jérôme accéléra, aussitôt imité par Pedro qui resta à sa hauteur. Au troisième tour, Pedro partit en flèche et franchit le premier tremplin dans un bond gigantesque qui arracha à la foule un cri d’admiration. Jérôme rendit la bride à ses lémures qui déchiraient l’air avec un sifflement. Au second tremplin, il était à la hauteur du prince et c’est lui qui fit le bond gigantesque. Ses roues griffèrent le sable mais ne cassèrent pas. Derrière eux, les autres conducteurs essayaient de forcer l’allure mais ils ne parvenaient qu’à casser des roues et la piste connut bientôt un encombrement d’animaux traînant des chars renversés. Pedro et Jérôme zigzaguaient comme des éclairs entre les obstacles qui s’amoncelaient malgré l’empressement du personnel chargé de les retirer. Au septième tour, ils étaient seuls en piste et celle-ci était enfin dégagée. Jérôme jeta un coup d’oeil sur la tribune. Elvire n’avait pas quitté sa longue vue. L’idée de ridiculiser l’orgueilleux Pedro, ex-grand homme sur la Terre, ex-grand découvreur de planètes, maître de Protée pour l’éternité, sous les yeux de la femme qu’il avait volée à son ami par un assassinat ignoré de celle-ci et qu’il croyait bien enfoui dans la nuit des temps, donnait à Jérôme des ailes. Cette femme avait les yeux de Francesca, le sourire de Francesca qui étaient pour lui les yeux et le sourire de l’amour. Les tremplins se succédaient maintenant de plus en plus vite, les hurlements de la foule semblaient des roulements de tonnerre. Les lémures blancs paraissaient partager la volonté irrésistible de leur maître. La dernière ligne d’arrivée se précipita au-devant de Jérôme et ce n’est qu’une fois celle-ci franchie qu’il se rappela sa promesse à Partenov de laisser le prince franchir avant lui la ligne d’arrivée. Une ovation géante l’accueillit. Les spectateurs debout sur les gradins saluaient l’homme aux lémures blancs. Pedro franchit à son tour la ligne d’arrivée salué par quelques applaudissements discrets de ses courtisans. Jérôme sauta de son char et tomba dans les bras de Partenov. – Tu as perdu la tête, dit le Russe, ces applaudissements sont ta condamnation.
Editions LA BARTAVELLE – 2002
ISBN 2-87744-742-1
Prix public : 25,00 €
Acheter en ligne