Résumé
Dans un salon désaffecté où on a entassé des portraits anciens,trois enfants rêvent aux aventures qu’ont connues leurs ancêtres et à travers quelques vieilles lettres tentent de les reconstituer. L’histoire se déroule d’abord dans le pays basque, à Bayonne où ils vivent, dans la région de Toulouse, dans le Gers près de Fleurance, dans le Tarn à Réalmont entre Albi et Castres où leur famille possède des propriétés, dans la région parisienne où leur mère a fréquenté pendant sa jeunesse les milieux littéraires de la génération symboliste. Elle va ensuite se dérouler aux différentes époques où ont vécu leurs ancêtres dont ils contemplent les portraits. Leurs parents leur ont surtout parlé des fonctions occupées par les personnages, représentées souvent par leurs uniformes et leurs décorations. Mais les enfants pensent que derrière ces uniformes et ces fonctions il y avait des personnages de chair et d’os qui avaient vécu, aimé, joui et souffert. A travers quelques lettres qu’ils découvrent dans le tiroir secret d’un secrétaire, ils essayent de retrouver leur personnalité et de reconstituer leurs aventures dans les différents lieux où ils ont vécu, avec quelques points de repère et beaucoup d’imagination, aussi bien au Québec sous Montcalm, qu’en Haïti au moment de la révolte des noirs, qu’au Maroc au dix huitième siècle, en Espagne et au Portugal au début du dix neuvième siècle. Pendant leurs vacances ils découvrent dans un château à moitié en ruine, habité par un oncle alcoolique et pittoresque, situé dans les environs de Toulouse, un manuscrit qui se présente comme un inédit de Balzac et qui a été déposé là par un de leurs grands oncles (le château existe toujours et le propriétaire a existé réellement, l’auteur n’a pas changé les noms, car il y eu dans ce château de Menville un drame qui a défrayé la chronique dans les dernières années de l’occupation et dont il est question dans le livre). L’aîné des garçons qui est devenu Normalien déchiffre le manuscrit à moitié rongé par les souris et le tape à la machine. L’histoire se passe à la cour de Louis Philippe où on retrouve des héros balzaciens. Nucingen, Rastignac, Vautrin entre autres et où fait son apparition une jeune homme qui ressemble beaucoup au futur duc de Morny. Les enfants devenus des jeunes hommes partent ensuite pour le Maroc où leur oncle possède un domaine et assistent, mêlés à la société marocaine de l’époque, aux dernières années et à la décomposition du protectorat. En fond de décor se déroule l’affrontement entre le Sultan et le Glaoui pacha de Marrakech, la déposition de Mohammed V remplacé par Arafa, les premières révoltes. Un certain capitaine Oufkir dont on parlera beaucoup par la suite fait son apparition. Trois ans plus tard le sultan revient occuper son trône Les propriétés des Européens qui doivent partir sont confisquées. C’est en arrivant à Arbaoua où se situait la frontière qui séparait le Maroc français du Maroc espagnol où personne ne leur demanda leur passeport où les poules nichaient dans les bureaux de l’ex-poste de douane que les jeunes gens réalisèrent vraiment que l’histoire du Maroc ne les concernait plus. Le personnage de la mère des enfants domine toute la première partie du livre. Elle est à la fois redoutée et admirée par ses enfants. Dans l’épisode marocain de nouveaux personnages féminins apparaissant, une ex princesse polonaise chirurgien à Casablanca, évadée d’un goulag soviétique, une riche juive, une Marocaine nièce du Glaoui. La mère reste elle-même, mais n’occupe plus le devant de la scène. Les enfants sont devenus des hommes.
Ô saisons, Ô châteaux Extrait N°1
- C’est l’appartement de la comtesse, s’exclama Raymond. Nous prîmes nos épées et toujours en chemise, car ce cri affreux ne permettait pas de délai, nous fîmes irruption dans l’appartement voisin. Les deux femmes terrifiées se serraient l’une contre l’autre. – Là, dit la comtesse en montrant la fenêtre, un homme énorme, avec une hache ! Raymond se précipita pendant que je faisais de mon corps un rempart au deux délicieuses et tremblantes créatures drapées dans le léger et transparent appareil de leurs vêtements nocturnes. Que ne suis-je peintre, pensais-je, que n’ai-je le pinceau de Madame Vigée-Lebrun pour immortaliser cette délicieuse scène qui restera toujours dans ma mémoire ! Raymond écarta les rideaux. – Je ne vois rien, comtesse. – Sans doute est-il parti dans ma chambre et rassurée par notre présence elle s’arracha aux bras de sa fille et mena Raymond dans la pièce voisine. Pour parer à toute éventualité je restais devant Inés, la main appuyé sur la garde de mon épée dans une attitude qui aurait pu être guerrière si je n’avais pas été en chemise. De la chambre voisine des bribes de conversation me parvenaient. – Vous n’y êtes pas, colonel, ce n’est pas là qu’il faut chercher… Vous approchez… vous approchez…Mais colonel que faites vous? un homme ne saurait se cacher sous ma chemise…. A ce moment la porte de la chambre claqua et je n’entendis plus rien. – Que se passe-t-il ? dis-je à Inès, mon oncle est peut-être en péril. – Peut-être, chevalier, mais un genre de péril qu’un homme de cœur ne saurait redouter. Détendez vous un peu, on dirait la statue du commandeur avant qu’il descende de son socle. Ainsi je me trouvais seul à une heure avancée de la nuit, dans la chambre de la plus jolie jeune fille que j’avais jamais connue. Je pouvais à travers la légèreté des tissus de ses vêtements de nuit deviner la perfection de ses formes. L’honneur seul m’interdisait de profiter de la situation et de lui ravir une virginité que la noblesse de son sang attestait certaine. De plus j’étais en chemise, situation assez ridicule pour jouer au séducteur et risquer une déclaration. Elle me jeta un regard rendu humide par une larme qui naissait à la commissure de l’œil, sans doute le contrecoup de l’émotion. – Ainsi, chevalier, vous êtes venu tout de suite à notre secours, sans prendre le temps de vous vêtir. – Madame, je vous prie d’excuser ma tenue. Seule l’urgence…. – Je n’avais jamais vu un Français en chemise. Savez vous qu’en Espagne les hommes sont plus élégants. C’est une étoffe assez grossière. Elle prit le bas de ma chemise, tâta l’étoffe et la souleva jusqu’à ses yeux, découvrant ainsi ce que je tenais à lui cacher et que sa présence et sa tenue avait mis dans les plus heureuses dispositions. – Madame, m’écriais-je, lâchez cette étoffe ou je ne réponds, de rien. – Qui vous demande de répondre, chevalier, dit-elle en souriant et elle se serra contre moi. – Nous roulâmes tous deux sur le lit qui était derrière elle. En un instant, j’oubliais les périls de Raymond, la mission, le prince d’Espagne et la reine du Portugal. J’entrais dans le paradis secret que m’offrait la plus adorable des créatures et je m’y ébattais, parcouru d’ondes de volupté, maître de ce corps, dieu de cette âme, empereur de cette terre de rubis, d’émeraude, de velours, essayant de prolonger jusqu’au point le plus extrême cette possession à la quelle, comme dans un feu d’artifice, mettrait fin l’éblouissement final. Ce fut une nuit de délire. Inés s’offrait à moi et renouvelait son offre et seul l’épuisement de mes moyens mit fin à cet enlacement divin. Raymond de son côté ne perdait pas son temps car à travers la cloison, j’entendais des gémissements qui semblait indiquer l’adhésion de la victime à un raffinement de tortures. La comtesse ne devait pas savoir si elle était au plus profond de l’enfer ou au sommet du paradis. Au petit jour le sommeil me gagna et je m’endormis dans les bras d’Inés, ma joue contre son sein comme un nourrisson reconnaissant et apaisé. Le réveil fut cruel. Raymond me frappait du plat de son épée. – Nous devons être à Lisbonne ce soir et le soleil déjà ruisselle sur la forêt. J’espère que tu as bien dormi. – Guère plus que toi, mon oncle, la cloison est mince et si j’en jugeais aux soupirs de la comtesse, tu la besognais ferme. Je dirai même que cette verdeur m’a surpris à ton âge, avec tes rhumatismes et le souvenir d’Artémise. – Cesse de parler de mon âge mon neveu ou je te déshérite.
Ô saisons, Ô châteaux Extrait N°2
- Restez ou vous êtes, Raymond, mon autre oreille est très sensible et souffre aux vibrations de votre voix. Vous lisez mieux quand vous êtes bien assis. Chaque jour je me promettais d’être plus hardi, le lendemain, de pousser plus loin mon avantage, une nouvelle tentative me renvoyait dans mon fauteuil. Le sofa semblait une forteresse entourée d’un rempart invisible qui en interdisait l’accès. Avant hier le 8 Septembre, jour à jamais béni, jour à jamais maudit, j’avais décidé de passer outre à cette résistance, tout au moins de conquérir une place sur le sofa puisqu’en amour, rien ne peut se faire de loin et que la proximité permettait des effleurements, peut être des caresses dont la seule pensée m’enivrait. J’avais choisi une lecture tirée de Gil Blas, les amours de Don Luis Pacheco et d’Aurore de Gusman qui me paraissait convenir pour préparer le terrain. J’en étais au passage suivant : « Elle ne se contenta pas de le tirer de son erreur, elle avoua la faiblesse qu’elle avait pour lui, les démarches qu’elle avait faite pour l’amener au point où elle le voyait enfin rendu ». Je vis que ma belle cousine avait les yeux pleins de larmes et je me levais de mon fauteuil pour profiter de cet instant de faiblesse, quand la porte s’ouvrit brusquement et Lévis qui n’avait pourtant pas l’habitude d’entrer sans frapper se précipita dans la pièce sa perruque en désordre et les yeux hagards. – Qu’y a t’il, chevalier, dit d’une voix hautaine Artémise, peu habituée à ce style d’entrée en matière. – Il y a, marquise, que le gouverneur votre mari vient de m’ordonner de rendre Montréal aux Anglais et d’en remettre les clés au général Jeffery Amherst, celui-la même que j’ai rossé à Sainte Foy. j’ai eu peine à contenir mon envie d’embrocher le marquis. Seule la pensée que vous pourriez vérifier s’il est dans son bon sens et lui faire rapporter cet ordre m’a retenu. Artémise se leva, très pâle. – Je vais le voir dans l’instant. Attendez moi tous deux ici. Nous attendîmes tous deux en silence pendant une longue heure. La situation était trop grave pour hasarder quelques propos.Artémise revint encore plus pâle. – J’ai tout essayé, chevalier dit elle. Le marquis assure qu’il a des dépêches récentes. La guerre approche de sa fin. Il n’est pas question de nous envoyer des renforts. Le roi serait décidé à laisser « La nouvelle France » aux anglais en échange d’autres avantages en Europe. Dans ces conditions il est inutile de faire tuer des soldats pour défendre une ville qu’un traité nous ôtera. – Mais s’écria Lévis, posséder la ville au moment du traité c’est posséder un gage qui permettra de mieux négocier et peut être de la garder. Si les Anglais la veulent il faudra qu’ils viennent la prendre et même sans renfort nous pouvons tenir des années. Certaines colonies anglaises commencent à trouver lointaine et pesante l’autorité du roi Georges. S’ils cherchent à s’en affranchir nous aurons des alliés. – Chevalier, je vous le dis la mort dans l âme, la décision du gouverneur est irrévocable. Il est ici dépositaire de l’autorité du roi. Si vous l’embrochez c’est un acte de rébellion. Vous serez jugé par des magistrats qui pensent que la nouvelle France c’est quelques arpents de neige sur les quels des tribus de Huron et d’Iroquois s’occupent à se scalper mutuellement. Leur jugement, comme toujours, sera dicté par l’intérêt du pouvoir et le souci de leur carrière. Vous finirez décapité ou croupirez à la Bastille. Vous avez une belle carrière devant vous, chevalier. Maurice de Saxe n’est plus là, Montcalm n’est plus là, Soubise s’est couvert de ridicule. La voie est libre pour vous, vous finirez duc et pair et maréchal de France. – Madame, dit le chevalier, que feriez vous à ma place. – Si j’étais le gouverneur, j’affronterai la colère du roi pour lui garder une province, si j’étais le chevalier de Lévis, je garderai à mon pays, qui en aura grand besoin, le seul bon général qui lui reste. – Hélas, madame, que n’êtes vous le gouverneur! Vous avez régné ici par votre beauté mais vous étiez digne de le faire par votre courage. C’est à vous seule que je rend mon épée que vous pourrez faire parvenir au général anglais, vous seule êtes digne de la recevoir. Nous allons abandonner ici nos fils comme en Acadie. Nous laissons une race vigoureuse venue de nos provinces et avec qui les Anglais devront compter. Un jour peut-être nos arrières neveux les chasseront d’ici comme la pucelle les a chassé de France. Alors la Fleur de lys flottera à nouveau sur ces remparts, ce pays redeviendra « La Nouvelle France » et je frémirai d’aise dans mon tombeau. Il déposa son épée sur la table et sortit en fermant, cette fois discrètement, la porte. – Continuez votre lecture, dit Artémise d’une voix altérée. » Don Luis ne fut pas moins charmé que surpris de ce qu’il entendit. Il se jeta aux pieds de sa maîtresse et lui dit avec transport « Ah! belle Aurore; croirai-je en effet que je suis l’heureux mortel pour qui vous avez eu tant de bonté » Joignant le geste à la parole, je me jetais au pied d’Artémise écartant la table qui nous séparait « Un éternel amour ne saurait assez les payer » Ma cousine resta un instant rêveuse. – Relève-toi Raymond, dit elle enfin, je n’ai plus de honte à te le dire. Je t’ai aimé enfant, adolescent et je t’aime encore aujourd’hui. Les liens par lesquels mon père m’a unie à Vaudreuil ont été pour moi des chaînes. Sans ce qui s’est passé aujourd’hui, tu n’en aurais jamais rien su. J’étais la femme du gouverneur, j’avais épousé cette belle province et je devais être au dessus de tout soupçon. Je ne pouvais exiger des femmes de ce pays la vertu et vivre dans l’adultère. Je me refusais à toi par amour pour ce peuple. Aujourd’hui la lâcheté de Vaudreuil me rend libre. Je ne serai plus jamais la femme de cet homme. Même s’il m’est impossible de rompre les liens du mariage, jamais je ne dormirai dans son lit. Jamais je ne lui ferai d’enfant à qui je ne pourrai cacher la honte de leur père. Je suis à toi tant que tu voudras, tant que tu voudras de moi.
Editions LA BARTAVELLE – 2001
ISBN 2-87744-682-4
Prix public : 24,40 €
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